Mardi 2 septembre 2014, 18h00 – J’ai appareillé il y a 2 heures : le pays bigouden est à tribord, cap sur le Cap Finisterre.
Fin juillet, j’étais décidé à vendre le bateau, j’annulais tout, avec un stress qui me nouait l’estomac. Je m’organisais déjà des projets de rechange, fourgonnette façon camping-car, voyages vers le Cap Nord ou l’Europe centrale, nouvelle maison à Tréboul avec vue sur la mer et les rochers… Aujourd’hui je pars, Pierre, Michèle et ma Maman m’ont largué les amarres, plus de stress, mais je crois que je n’arrive pas à réaliser que je quitte Quimper pour un an. Je dois faire un blocage…
Je pars vraiment à l’aventure, je ne sais pas jusqu’où j’irai ni dans quoi je m’engage. En fait je crois que j’ai décidé de ne plus me poser de questions. On verra, Je me poserai les questions quand les problèmes se poseront.
Le projet : Madère–Canaries–Cap Vert, Brésil, Guyane, Antilles, Bermudes, Açores et retour à Douarnenez en juillet 2015. Qui sait, peut-être que dans 3 semaines je fais demi-tour, ou bien je passe le canal de Panama et cap sur le Pacifique, tout est possible !
Mais tout de même… Pierre, Michèle et ma Maman (qui a fait 1000 km pour agiter son mouchoir aujourd'hui !) sur le ponton de Bénodet, et depuis, un message de Raph, un coup de téléphone de Noëlle, un SMS de DomGrap, un coup de téléphone de Claude L, un autre de Luc, avec la côte déjà perdue de vue… Pas facile de partir en catimini !
21h00, des dauphins jouent autour du bateau depuis 20 minutes, c’est un spectacle toujours fascinant, je ne m’en lasse pas.
Je guette, avec le système AIS sur l’ordinateur, les bateaux de pêche et les cargos invisibles à l’horizon, c’est magique, et eux me voient aussi, ce qui est très rassurant. Je n’arrive pas à imaginer cette prolifération de bateaux, sur cet océan qui paraît désert.
Un mot pour les terriens sur l’AIS (Automatic Identification System) : depuis 2010, les bateaux de plus de 15 mètres (en dessous de cette taille, c’est au choix) sont obligés d’émettre un signal radio qui décrit leur situation : leur nom, leur longueur, leur cap, leur vitesse, et même leur destination ou ce qu’ils transportent… J’ai un ordinateur à bord avec les cartes marines électroniques, un GPS y affiche la position et le cap de INDEED, et l’AIS connecté affiche tous les bateaux qui naviguent autour de moi, y compris ceux qui sont bien loin au-delà de l’horizon, et donc invisibles. Eh bien je vous le dis tout de go, sans ambages et catégoriquement, ce machin-là a transformé la navigation de plaisance au même titre que le gouvernail, la voile, le pilote automatique et le GPS !
Je suis en train de faire la sieste, une cloche sonne pour m’avertir qu’un pétrolier de 280 mètres de long va me couper en 2 dans une demi-heure, paisiblement je me lève, je vais modifier mon cap de quelques degrés et l’écran m’indique que je passerai sur l’arrière du monstre, à 0,18 milles nautiques…
1ère nuit en mer en solitaire depuis bien longtemps, je retrouve les petits sommes d’une demi-heure, réglages de voiles dans l’obscurité et puis retour au dodo… Avec Raphaël, l’année dernière, on assurait une vraie veille toutes les nuits en mer, chacun son quart pendant 3 heures, et finalement le temps de sommeil était bien court. Là, le minuteur sonne toutes les 30 mn, je me lève, un coup d’œil sur l’horizon, et hop sous la couette.
Mercredi 3 septembre : pas un nuage, il fait plutôt frais, la mer est un peu agitée, vent d’est, tout ça est impeccable.
Je suis quand même un peu hagard, je lis quelques pages, je fais des petites siestes, je grignote, je n’ai pas encore trouvé mon rythme pendant la journée.
2ème nuit en mer, moteur une grande partie de la nuit, je dors par petits paquets, mais je dors, en fin de compte !
Jeudi 4 septembre : pas de vent, la mer s’aplanit. Un voilier à l’horizon. Et une baleine à bosse émerge à 30 mètres du bord, en respirant et en soufflant tranquillement. Émotion.
Un petit moineau ébouriffé s’est posé sur le pont, mais je lui interdis d’entrer dans le bateau, ce qui le scandalise ! Il tente plusieurs fois sa chance, mais le méchant du bord le chasse…
Comme je me traîne un peu, mes calculs me font arriver samedi matin, après 4 nuits en mer.
La nuit tombe, une baleine me salue, et une autre encore.
Vendredi 5 septembre : pas de vent, moteur depuis je ne sais plus combien d’heures. 6 heures du matin, nuit noire, La Corogne est à 67 milles nautiques bâbord, et j’approche d’une zone associée à un souvenir terrifiant pour Raphaël et moi il y a un peu plus d’un an : un gros bateau de pêche nous fonçait dessus délibérément, et il s’en était fallu de peu, de quelques mètres, avant qu’il ne nous expédie par le fond. 3 mois plus tard, un copain de ponton nous avait dit, au détour d’une conversation, que c’était un jeu habituel des pêcheurs espagnols ! Glurps…
Beau temps, mer lisse, un vrai miroir, moteur, moteur, moteur. Mais l’avantage est que je vois arriver de loin les cétacés, et il va y en avoir ! Des dauphins, qui viennent jouer sous l’étrave ou se faire masser le museau par les remous de l’hélice, qui repartent et reviennent une heure plus tard. Et puis les globicéphales, ces gros dauphins noirs à tête ronde, paresseux et nonchalants, qui restent en surface, groupés et tranquilles. Et puis cette baleine et son baleineau qui passent à quelques dizaines de mètres, et puis ces souffles puissants que j’entends non loin, alors que la nuit est tombée.
J’ai la sensation d’être bloqué en mode sourire, béat !
Dernière nuit, j’ai ralenti mon allure pour ne pas arriver dans l'obscurité. Je commence à voir les phares de La Corogne, la mer se creuse et s’agite à l’approche du Cap Finisterre, toujours de mauvaise réputation. Au petit matin, le vent a monté, et à quelques milles nautiques du port, quelques grains viennent rincer le pont.
Samedi 6 septembre, 10h, le capitaine du port de Camariñas m’aide à amarrer INDEED, ça souffle, il pleut mais tout est bien.
À bord de INDEED, à Camariñas, lundi 8 septembre 2014