INDEED ON THE SLY !
“On the sly” : “en catimini” in english… Thanks JYO !
Mardi 9 septembre 2014 à Camariñas
Départ 2 h du mat’, je largue les amarres en douce, Je quitte Camariñas « on the sly ». Je ne veux pas réveiller mes voisins. Pleine lune, donc visibilité parfaite, et pas de vent, je quitte la ria au moteur, tranquillement je range le bateau, les pare-battage, les amarres, je hisse la grand-voile. Je réveille tous les oiseaux de mer qui dorment posés sur l’eau dans la ria. Je suis poursuivi par 4 bateaux de pêche sortis juste après moi.
De la brume est annoncée, mais pour l’instant rien, conditions parfaites.
C’était trop beau ! Tout compte fait, elle arrive, et elle va être épaisse et opaque : par moments je n’aurai que 10 à 20 mètres de visibilité ! Alors l’AIS est précieux dans ce genre de circonstances, il sonne en cas de problème. Peu à peu je me tranquillise, quelques heures dans cette ouate m’anesthésient, je me mets à lire un paragraphe de mon livre, puis quelques autres, entre deux coups d’œil autour du bateau. Et tout à coup, un hurlement : « Hay que miraaaar ! », je passe à 20 mètres devant l’étrave d’un bateau de pêcheurs en train de remonter leurs lignes, heureusement à l’arrêt, il émerge du brouillard, et je me fais copieusement incendier, car ils ont bien vu que je ne les ai aperçus que presque par hasard… C’était un bateau d’une dizaine de mètres, donc pas d’AIS… Je vais terminer cet épisode brumeux debout dans le cockpit, concentré et la main en visière sur le front pour guetter.
Je connaissais déjà la magie du plancton fluorescent, mais plutôt la nuit, cette fois-ci ça va être de jour, avec cette aube cotonneuse qui n’en finit pas : la mer est lisse, et
l’étrave crée une vague qui est ourlée d’un cordon vert fluo, façon « Avatar » ! J’attribue d’abord le phénomène à la fatigue de mes vieux yeux, et puis non,
l’eau est chargée d’une magie qui s’active quand on la remue un peu.
Dans l’après-midi, doucement, la visibilité s’améliore, 100 mètres, 500 mètres.
Et mes vieux yeux vont encore se poser des questions : la coque traverse régulièrement des plaques d’eau orangeâtre, plus ou moins brunâtre, un peu grumeleuse : est-ce du
krill, ces masses de petites crevettes dont se nourrissent les baleines au-delà du cercle polaire ? Plus raisonnablement, est-ce du plancton, de la laitance de je ne sais quel
poisson, ou bien une pollution déversée par une usine chimique ? Je n’aurai pas la réponse.
Savez-vous que les crabes nagent et traversent les océans ? La première fois que j’en ai vu un, genre petit crabe vert, je me suis dit « oh le pôvre… », et puis toutes
les fois suivantes, je les ai observés, et pas de doute, ils nagent, à quelques centimètres sous la surface, et ils avancent « en crabe », en agitant leurs petites pattes. Des
crabes migrateurs, ça existe ?
19h, amarrage au ponton de Baiona, ouf ! Depuis 2 heures du mat’, le brouillard ne m’a pas permis une seule petite sieste, et je suis cuit. Gros dodo.
Je connais cette ville car on l’a testée avec Raphaël l’année dernière, mais la nouveauté c’est le vélo électrique ! Rien que pour aller à terre, il y a au moins 500 mètres de
ponton, là je n’hésite plus : j’explore la ville, je pars regarder l’horizon sur la route de corniche, et tout ça sans états d’âme. Mon vélo est à assistance électrique, ce qui veut dire que le
moteur ne se met en route que si je pédale, ce n’est quand même pas une mobylette ! 3 vitesses, 3 niveaux d’assistance électrique que je peux couper si je veux (et si la batterie est à plat, je
reviens en mode vélo !).
Je vais rester 5 jours à Baiona, à attendre une fenêtre météo favorable, mais le vent vient obstinément du sud.
Dimanche 14 septembre, je quitte Baiona
Les jours passent, je ne dois pas trop traîner pour descendre vers Lisbonne, Madère, les Canaries. Les prévisions météo ne sont pas fameuses, mais je vais tenter de rejoindre Viana do Castelo, je
vais quitter l’Espagne pour le Portugal.
8 heures, je largue les amarres, 8h01 le grain démarre, pendant la manœuvre ! J’avais bien espéré passer entre les gouttes… J’avais aussi prévu de tirer un grand bord « bâbord
amure », puis un grand bord « tribord amure », le petit vent était censé tourner dans la journée…
En fait je vais faire un près serré minable, avec un courant de sud très fort que j’aurais dû prévoir depuis tous ces jours où le vent est au sud, avec des vagues qui se lèvent
et me font déraper, et avec de la pluie, et du vent… Le vent de 10 nœuds annoncé atteint en réalité 20 nœuds. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas passé une journée entière en
pantalon et veste de ciré !
Dans l’après-midi je rajoute le moteur, et je monte le régime pour arriver avant la nuit. J’arrive à Viana do Castelo, au ponton d’attente dans le chenal, à 20 heures, trop tard
pour appeler la capitainerie.
Le lendemain les conditions se dégradent, vent, averses. Je vais négocier avec le marinero qui vient me chercher à 13 heures pour m’aider à manœuvrer. J’entre dans la marina, et il me place à
côté de Wallilabu, des copains de Martial et Françoise de Mabanga, que nous avions rencontrés avec Raphaël l’été dernier aux Canaries. Ils m’invitent à leur
bord, et nous trinquons avec un ti-punch à nos envies, ils ont aussi des idées de Brésil, encore un peu floues et lointaines.
Le temps est vraiment pourri : toujours vent du sud, pluie à seaux, clapot dans la marina. Je me mets en mode pantoufles : lectures, mails, site web pour lequel
je prépare les pages « îles perdues ».
Je profite d’une éclaircie, je prends le funiculaire qui m’amène au pied de la Basilique Santa Lucia : elle surplombe la ville, et de là-haut je vois la mer, ça déferle fort sur
les plages. Je m’offre un poisson frit dans un petit resto, à l’abri de la pluie.
En revenant au bateau, mes voisins allemands qui étaient partis ce matin en direction de Lisbonne sur leur gros voilier « Wind of Change », ont fait demi-tour, conditions trop mauvaises, et je
leur donne un coup de main, ils se réinstallent à côté d’Indeed. Ils vont faire cap sur Porto le surlendemain : je vais les espionner – moi aussi ! – avec l’AIS, et ils vont
faire une route minable, visiblement bousculés par le vent, les vagues, le courant… Pourtant ils ont un voilier de plus de 13 mètres.
Avec le vélo, je sillonne le coin, je me trouve des courses à faire pour explorer les "ferreterias" (les quincailleries) et les "drogarias". Viana do Castelo est une ville
ancienne, avec des vieilles rues étroites, mais il y a aussi des bâtiments très modernes, et une promenade au bord de l’eau très belle. Comme le WIFI du port est nul, je teste les bistrots avec
WIFI pour répondre à mes mails.
Dimanche 21 septembre : je quitte Viana do Castelo
La météo devient enfin raisonnable, le vent tourne à partir d’aujourd’hui ; Wallilabu est parti samedi, mes voisins anglais ce matin à 7h30, et je décolle à 12h30.
Temps superbe, et vent dans le bon sens ! De plus, pour fêter ça, plein de dauphins prennent leurs habitudes sous le bateau, restent longtemps, reviennent, et
c’est des drôles ceux-là, énervés, et même bagarreurs, qui se bousculent, qui sautent, bref qui font le spectacle.
Dans la soirée le vent tombe, moteur, mais j’assiste à un orage avec éclairs spectaculaires sue la côte. Résultat, la pluie me rattrape dans la nuit, et ça va provoquer une conséquence inattendue
: à cause de la pluie, de l’ambiance électrique, je ne sais pas, l’AIS va tomber en panne, et il y a des cargos, des bateaux de pêche autour de moi : leurs signaux s'effacent un par un. On prend
vite l’habitude de ce confort électronique, alors panique ! Je me rabats sur un autre gadget, le radar, plus difficile à lire, à interpréter, mais je vais pister et éviter grâce
à lui un bateau de pêche. Et puis peu à peu l’AIS revient, ouf !
Tout compte fait, je m'habitue à utiliser radar ET AIS, bretelles et ceintures... Comme ça, je vois aussi les bateaux de pauvres qui n'ont pas un émetteur AIS !
IL va pleuvoir toute la journée qui suit. Je contrôle l’étanchéité des hublots : mes voisins de Wallilabu m’avaient dit un « truc », mettre de la vaseline sur les joints en caoutchouc. Je me suis
acheté un tube, j’en ai mis sur 2 hublots qui avaient tendance à goutter, ça a l’air de marcher…
Je ne sors que pour saluer les dauphins, ils m’accompagnent en permanence, mais quand le temps est morose, ils le sont aussi. Même la nuit, quand je sors faire mon tour
d’horizon, ils sont là : quand dorment-ils ?
Dernière nuit, le temps s’est bien amélioré, et j’ai même eu droit à un beau coucher de soleil, ce qui n’a pas été si courant ces derniers temps !
Il y a du monde autour de moi, et j’approche d’un passage rétréci entre la côte et l’île Berlinga ; trop de bateaux de pêche, trop de voiliers, je passe mon temps à essayer de
les repérer, à vérifier qu’on n’est pas en « route de collision », bref pas moyen de dormir ! Et c’est une nuit sans lune, alors pas de répit. Je vais me forcer
à rester éveillé jusqu’à une ou deux heures du mat’, jusqu’après le passage du goulet. Je démarre mes demi-heures de sommeil avec le minuteur, mais les réveils-tours d’horizon
sont difficiles, et une fois je vais émerger après presque une heure et demie de sommeil profond ! Heureusement que je suis loin de la côte, et heureusement que les voisins
voiliers ont plus ou moins le même cap ! Un voilier m’accompagne toute la nuit, pas d’AIS mais je le vois au radar, et je vois son feu vert tribord minuscule et tremblotant, il est à 2-3 milles
d’Indeed.
6 heures du matin, la mer s’est calmée, le ciel s’éclaircit, j’approche. Avec Raphaël l’année dernière, on avait remonté l’embouchure du Tage, la rivière de Lisbonne, et on s’était installés dans
un port du centre ville. Là je vise Cascais, un ancien petit port de pêche reconverti en station balnéaire avec grosse marina un peu chic. C’est plus court, et je compte partir
d’ici pour viser l’archipel de Madère.
Les dauphins sont toujours là : cette étape aura duré 48h, et je crois que ils m’ont accompagné la moitié du temps, la nuit, le jour, au soleil, sous la pluie,
je dois battre des records !
Fatigue ! Cette dernière nuit m’a épuisé, j’essaie de faire bonne figure en arrivant ; je vise le ponton fuel pour faire le plein avant d’aller à la capitainerie. Personne. J’attends. Un marinero
arrive enfin, et m’explique que ce n’est pas là, mais non ! Hey, mec, j’ai le guide sous les yeux, le plan… je le suis vers le ponton d’accueil, et pas de doute, la pompe à gasoil est là,
là où le guide ne l'indique pas !
Je m’installe, je vais manger un steak frites dans un snack, et je fais une énorme sieste.
Première opération : débarquer le vélo ! Cascais est une jolie petite ville, banlieue chic de Lisbonne, avec des restos annonçant « Portuguese food », il y a du touriste, aucun doute !
Je vais passer quelques jours ici, et je guette la météo pour les jours prochains : Madère est à 500 milles nautiques d’ici, 4 à 5 jours de mer, je veux du soleil, du vent pas trop fort et dans le bon sens, et pas de vagues, bien sûr !
Ça sera vendredi, demain matin. Se Deus quiser (« si Dieu veut » en portuguès) !
Jeudi 25 septembre à Cascais, à bord de INDEED